Introduction
C’est au tour de Tsophar de prononcer un deuxième discours. C’est l’orateur le plus féroce. Parmi les amis, c’est celui qui laisse le moins de doute sur ce qu’il veut dire. En raison de sa ferveur, il est le premier à terminer ses discours. C’est son deuxième et aussi dernier discours. Les deux autres amis s’adresseront une troisième fois à Job, puis se tairont aussi.
Ce que dit Tsophar est presque entièrement vrai. Sa grande erreur est d’appliquer tout ce qu’il dit à une personne juste. Si l’on goûte quelque peu le sous-entendu de ses paroles, il semble que Tsophar soit quelqu’un qui parle à partir du fait confortable qu’il est lui-même en bonne santé et prospère et qu’il voit en cela, pour lui-même, la preuve de sa propre bonté et de sa propre justice.
Dans son discours, Tsophar utilise brillamment et magistralement la langue hébraïque sous forme de poèmes, ce qui constitue une prouesse littéraire. Il est d’autant plus tragique qu’un message erroné puisse être emballé et délivré d’une manière aussi brillante.
Il commence par expliquer pourquoi il repart en guerre avec les paroles (versets 1-3). Il décrit ensuite avec un grand souci du détail ce à quoi ressemble, selon sa théologie, une personne méchante (versets 4-29).
1 - 6 L’exultation des méchants est courte
1 Et Tsophar, le Naamathite, répondit et dit : 2 C’est pourquoi mes pensées m’inspirent une réponse, et à cause de ceci l’ardeur de mon esprit [agit] en moi : 3 J’entends une réprimande qui me couvre de honte, et mon esprit me répond par mon intelligence. 4 Sais-tu bien que, de tout temps, depuis que l’homme a été mis sur la terre, 5 l’exultation des méchants est courte, et la joie de l’impie n’est que pour un moment ? 6 Si sa hauteur s’élève jusqu’aux cieux, et que sa tête touche les nuées,
C’est au tour de Tsophar de répondre à Job (verset 1). La rapidité et la véhémence de sa réponse montrent, comme souvent, qu’il exprime des pensées superficielles et non des vérités de poids. Il a formé ses pensées tout tandis que Job parlait sans l’écouter attentivement. Ces pensées, il va les exprimer en réponse (verset 2). Ce sont bien ses pensées, et non celles de Dieu, quelle que soit la part de vérité dans ce qu’il dit. Il répondra immédiatement, car les paroles de Job doivent être directement réfutées.
Car Job a prononcé une réprimande – il l’a entendu lui-même – qui lui couvre de honte (verset 3). Il entendra par là le sévère avertissement de Job dans les derniers versets du chapitre précédent. Cet avertissement résonne. Bien sûr, ce que Job leur a dit là ne peut pas rester sans réponse. Là, Job ne fait rien de moins que de les accuser d’agir de manière criminelle à son égard. C’est une honte !
Tsophar est persuadé que son esprit sait effectivement quoi répondre. Ce n’est pas l’esprit de Dieu, ni celui de Tsophar, mais l’esprit d’intelligence, c’est-à-dire une intelligence basée sur la tradition des anciens. Il a suffisamment d’intelligence ou d’intellect pour cela. Il est tellement convaincu qu’il a raison que la correction est impensable, voire offensante pour lui. Il se voit comme quelqu’un qui comprend bien les choses, particulièrement le cas de Job. Personne n’a besoin de le corriger. Non, les autres, en particulier Job, doivent l’écouter, car il est bien informé.
Il va brièvement mettre Job au courant de quelque chose qui existe depuis la création (verset 4). Toute personne dotée d’un peu de bon sens le sait. Il s’agit de la façon dont les méchants et les impies finiront (verset 5). Est-ce que Job le sait au moins ? Job a prétendu savoir quelque chose (Job 19:25), mais Tsophar affirme que le savoir de Job est un non-sens, car il n’est pas basé sur une connaissance correcte de l’histoire. Il s’agit donc d’un savoir insensé. Ce faisant, Tsophar rejette le discours de Job.
Tsophar ne dira pas que le méchant et l’impie n’ont pas de plaisir, mais il est clair que celui-ci est toujours de courte durée. Bien que ce que dit Tsophar semble impressionnant, ce n’est pas toujours vrai. Par exemple, Caïn a vécu longtemps après avoir tué son frère.
Pour Tsophar, Job est la preuve que l’intelligence qu’il a acquise dans son étude de l’histoire est vraie. Job a connu la prospérité et s’est réjoui, mais il est en réalité un méchant et un impie. Par conséquent, cette période de prospérité et de joie n’a été que de courte durée, pour un instant. Job peut encore imaginer tant de choses et marcher la tête dans les nuages, il finit par sombrer dans le désastre (verset 6). Joue aussi en arrière-plan l’idée que la santé et la prospérité dont jouit Tsophar sont la preuve qu’il a raison.
7 - 11 Sa vie est bientôt terminée
7 Il périra pour toujours comme ses ordures ; ceux qui l’ont vu diront : Où est-il ? 8 Il s’envole comme un songe, et on ne le trouve pas ; il s’enfuit comme une vision de la nuit. 9 L’œil l’a regardé et ne l’aperçoit plus, et son lieu ne le revoit plus. 10 Ses fils rechercheront la faveur des pauvres, et ses mains restitueront [ce que] sa violence [a ravi]. 11 Ses os étaient pleins de sa jeunesse : elle se couchera avec lui sur la poussière.
Si nous essayons d’oublier un instant à qui Tsophar s’adresse, il parle dans un langage fleuri, plein d’exemples qui frappent l’imagination. Il est expert dans la description du mal et de ses résultats. L’application à Job est trop évidente pour qu’on oublie vraiment à qui il s’adresse. Job périra, et de la manière la plus honteuse qui soit : comme ses ordures (verset 7). Les ordures sont essuyées et on ne les revoit plus jamais. Il n’y a pas non plus de désir de les voir revenir. Il en sera de même pour Job. Un cadavre traité avec mépris sera jeté sur le champ comme du fumier (2Roi 9:37 ; Psa 83:10-11 ; Jér 8:2 ; 9:22 ; 16:4 ; 25:33).
L’impie périt de la même manière qu’un songe et une vision (verset 8). Un songe et une vision sont des apparences temporaires et vanités. Ils sont là pour un moment et disparaissent à nouveau. Ils ne peuvent être retenus ou rappelés. Lorsqu’ils sont terminés, ils sont irrévocablement partis, balayés comme une brume qui se dissout parce qu’elle est chassée par le vent.
Personne ne le reverra (verset 9), car il est comme un songe et une vision qui se sont dissipés. Le lieu où il a habité ne le voit plus non plus. Il n’y revient jamais. Sa place est vide, comme s’il n’y avait jamais été. Ses enfants tombent dans la mendicité (verset 10). Il ne leur laisse rien, car il doit rendre les richesses qu’il a injustement prises aux autres.
Lui-même est peut-être encore plein de vigueur juvénile, mais une mort prématurée y met fin (verset 11). Dans la force de sa vie, il sera couché impuissant dans la poussière et retournera à la poussière dont il a été fait (Gen 3:19). Et la mort prématurée, selon Tsophar, est la preuve que Dieu punit toujours l’impie.
12 - 16 Le méchant s’empoisonne lui-même
12 Si le mal est doux dans sa bouche, et qu’il le cache sous sa langue, 13 s’il l’épargne et ne l’abandonne pas, mais qu’il le retienne dans sa bouche, 14 son pain sera changé dans ses entrailles en un fiel de vipère au-dedans de lui. 15 Il a avalé les richesses, et il les vomira ; Dieu les chassera de son ventre. 16 Il sucera le venin des vipères, la langue du cobra le tuera.
Tsophar dépeint le méchant comme quelqu’un qui a le péché dans la bouche comme une friandise (verset 12). Il le cache sous sa langue, sinon ‘la friandise’ fond trop vite et le plaisir est terminé. Il veut en profiter le plus longtemps possible. Il chérit le mal et le conserve dans sa bouche (verset 13). Le laisser partir et l’abandonner, n’est pas une option pour lui. Il le conservera dans sa bouche aussi longtemps que possible. En la tenant contre son palais, il apprécie son goût aussi longtemps que possible. Après tout, le goût est si bon...
Mais ce plaisir a une fin. Lorsqu’il a avalé la friandise et qu’elle a pénétré dans son ventre et ses intestins, les bonbons se transforment en « un fiel de vipère » ou « le poison de vipères » (verset 14). Le péché n’est pas un bonbon, mais le venin de serpent. Quelle que soit les richesses dont il s’est emparé avec avidité en les volant à d’autres, il les vomira (verset 15). Dieu y veillera personnellement. Ce que le méchant a sucé du plaisir du péché n’est rien d’autre que du venin de serpent (verset 16). En résumé, la mort du méchant est causée par son propre péché.
17 - 21 La prospérité passée ne sert à rien
17 Il ne verra pas des ruisseaux, des rivières, des torrents de miel et de beurre. 18 Il rendra le fruit de son travail, et ne l’avalera pas ; il le restituera selon sa valeur, et ne s’en réjouira pas. 19 Car il a opprimé, délaissé les pauvres ; il a pillé une maison qu’il n’avait pas bâtie. 20 Parce qu’il n’a pas connu de repos dans son désir, il ne sauvera rien de ce qu’il a de plus cher. 21 Rien n’a échappé à sa voracité : c’est pourquoi son bien-être ne durera pas.
Tsophar peint ce dont le méchant aimerait se déguster, mais qu’il ne pourra jamais voir (verset 17). Il raconte tout cela à Job pour l’amener à l’intelligence que Job est un méchant. Le méchant s’imagine qu’il jouira « des ruisseaux, des rivières, des torrents de miel et de beurre ». « Le miel et le beurre » représentent la plus haute jouissance de la prospérité et du bonheur terrestre (Exo 3:8 ; Deu 6:3). Le méchant les voit venir vers lui sous forme de courants. Il voit aussi devant lui, dans son imagination, que de grandes réserves en sont stockées dans les torrents. C’est un seul grand terrain de plaisir où l’on peut jouir sans être dérangé. Mais il ne verra rien de tout cela.
Ce sera complètement différent de ce qu’il a imaginé. Ce qu’il s’est approprié, il doit le rendre à ses propriétaires légitimes (verset 18). Il voulait le dévorer dans sa cupidité, mais cette illusion lui est retirée. La jouissance de ce qu’il s’est approprié à tort le dépasse.
La cause en est son action sans pitié contre les pauvres (verset 19). Il les a d’abord opprimés (littéralement : écrasés) et leur a tout pris, puis les a abandonnés au sort misérable dans lequel ils étaient tombés par son fait. Ce dernier point est réalisé en leur prenant tout. Son butin comprend aussi une maison qu’il n’a pas bâtie. Il en a chassé les habitants et en a pris possession.
Cependant, « il n’a pas connu de repos dans son désir [hébreu : ventre] (verset 20). Il n’est jamais satisfait. Sa cupidité en veut toujours plus ; il est insatiable. Agité, il est toujours à la recherche de plus. Mais tout ce qu’il a convoité sera perdu. Il ne pourra pas en conserver une partie pour survivre au moment où il en aura besoin. Il ne reste rien de comestible pour satisfaire sa faim (verset 21). Il a dévoré tout et tout le monde. Le bénéfice escompté qu’il pensait tirer de sa prospérité n’est que de courte durée.
22 - 25 La rétribution
22 Dans la plénitude de son abondance, il sera dans la détresse ; toutes les mains des malheureux viendront sur lui. 23 Il arrivera que, pour remplir son ventre, [Dieu] enverra sur lui l’ardeur de sa colère, et la fera pleuvoir sur lui dans sa chair. 24 S’il fuit devant les armes de fer, un arc de bronze le transpercera. 25 Il arrache [la flèche] et elle sort de son corps, et le fer étincelant de son fiel : les terreurs sont sur lui.
Quand le méchant pense qu’il est dans l’abondance, la détresse vient sur lui (verset 22). La terrible possibilité qu’il perde tout lui donne des cauchemars. Ce qui l’afflige est pire qu’un cauchemar. Chaque malheureux qui est tombé dans la misère à cause de lui lèvera la main contre lui et fera tomber cette main sur lui de façon punitive.
Non seulement la main de chaque personne lésée par lui sera contre lui, mais Dieu se retournera aussi contre lui (verset 23). Cela signifiera son jugement. S’il a de quoi se remplir le ventre, Dieu enverra sur lui l’ardeur de sa colère. Dieu remplira son ventre de l’ardeur de sa colère jusqu’à ce qu’il ait mal au ventre et qu’il n’ait aucune utilité pour sa nourriture (cf. Psa 106:14-15). Il n’en tirera aucune force. Et alors qu’il est encore en train de savourer sa nourriture, il sera frappé par une pluie de colère que Dieu envoie sur lui dans son mécontentement.
Il n’est pas possible d’échapper à ce jugement. Le méchant qui pense pouvoir échapper à un mal sera frappé par un autre mal (verset 24 ; cf. Am 5:19). Ses tentatives pour échapper au jugement sont vaines. S’il parvient à fuir les armes de fer (l’épée), il sera frappé par une flèche tirée avec un arc de bronze. Il a beau s’enfuir, la flèche le rattrape et pénètre dans son dos (verset 25). La flèche a pénétré profondément dans son corps. Lorsqu’on la retire, on voit le fer étincelant de son fiel, ce qui signifie qu’il a été mortellement frappé. Il n’y a pas de remède. Une mort atroce l’attend.
26 - 28 La colère demeure
26 Toutes les ténèbres sont réservées pour ses trésors ; un feu qu’on ne souffle pas le dévorera, et se repaîtra de ce qui reste dans sa tente. 27 Les cieux révéleront son iniquité, et la terre s’élèvera contre lui. 28 Le revenu de sa maison sera emporté ; il s’écoulera au jour de sa colère.
La seule perspective qui s’offre au méchant, tant pour lui-même que pour ses biens entreposés en toute sécurité, c’est « toutes les ténèbres » (verset 26). Les ténèbres sous toutes leurs facettes l’attendent. C’est là qu’il finira. C’est là qu’il sera dévoré par un feu soufflé non par les hommes, mais par Dieu. Ceux qu’il a laissés « dans sa tente », c’est-à-dire dans sa demeure, deviennent de la nourriture pour le feu. Il s’agit d’une référence aux enfants de Job qui ont eux aussi péri. Tsophar n’épargne aucune horreur à Job. Il présente à Job le parcours et l’issue du méchant, sans lui montrer la moindre lueur d’espoir.
Au verset 27, Tsophar réfute l’affirmation de Job selon laquelle son témoin est dans les cieux (Job 16:18-20). Il soutient que l’iniquité du méchant sera révélée par les cieux (Dieu) aux autres. Tout le monde en sera informé. Il y aura une grande indignation sur la terre. Tout le monde se lèvera contre le méchant à cause de ce qui a été révélé.
Il arrive que des personnes soient honorées à titre posthume, c’est-à-dire après leur mort. Il peut aussi arriver que des personnes soient méprisées et maudites après leur mort. Ce dernier cas se produit parfois lorsque des personnes célébrées de leur vivant sont connues après leur mort pour avoir fait des choses terribles de leur vivant. Il en sera de même pour Job, selon Tsophar. Même la terre, qui a vu toutes ces choses terribles, en témoignera alors (Deu 31:28).
Le méchant perdra toute sa prospérité (verset 28). C’est ce qui est arrivé à Job. Tsophar attribue cela à la colère de Dieu. C’est l’explication des amis pour expliquer la perte de Job. Tout lui a été arraché des mains par Dieu et tout cela parce qu’il a péché. Tsophar n’en doute pas, comme il le dit dans ses paroles de conclusion.
29 La conclusion de Tsophar
29 Telle est, de la part de Dieu, la portion de l’homme méchant, et l’héritage qui lui est assigné par Dieu.
Tsophar termine son deuxième discours de la même manière que Bildad (Job 18:21). La conclusion de tout son discours est claire comme de l’eau de roche. Sans aucun doute, ce qu’il a dit sur le sort des méchants est exactement ce que Dieu fera à Job. Le méchant a prononcé des paroles contre Dieu. C’est ce que Job a fait. Ce faisant, il a acquis son héritage qui consiste en la colère de Dieu. Job a gagné son héritage. L’héritage de la rébellion contre Dieu est la perte de tout ce qu’il possédait et que la vie devienne une grande ruine, avec pour seule perspective la mort.
Sans aucune compassion, Tsophar a persécuté l’affligé Job par ses paroles. Il ne comprend absolument pas la sincérité de Job. Ce que Tsophar dit, il le dit sous prétexte de défendre les droits de Dieu. Il n’y a aucune aide à attendre de Tsophar, de ses amis et des gens comme eux.